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L'EMPRISE CONJUGALE

Elle et lui (1)

Une relation d’emprise conjugale.

Lorsqu’ils se rencontrent, ni elle, ni lui ne savent que, sous la surface de leur passion, une autre histoire commence. La soif inextinguible et méconnue de l’un rencontre le désir illimité de l’autre. L’un croit avoir trouvé une source inépuisable pour épancher l’avidité qu’il ignore abriter. L’autre croit avoir rencontré celui attendu depuis toujours. Difficile que cela ne termine pas mal. La déception de l’un est à la mesure de l’espoir dont l’autre se missionne sans le savoir. Puissante. Radicale. Écoutons-les :

« Je t’ai élue. Je t’ai choisie, toi, pour me satisfaire. Sois en digne. Montre-toi à la hauteur de ce choix. Ne me fais pas le regretter. Lorsque tu ne fais pas ce qu’il faut, je m’en relève avec peine. Pourtant, à chaque fois, je te pardonne. Je te laisse une chance. Alors prouve-moi que je ne me suis pas trompé sur toi. Fais un effort. Ne me déçoit plus. »

 

Hélas, l’autre chutera. C’est écrit. Personne ne peut décoder instantanément ce qu’il nous faut et y répondre parfaitement, surtout lorsque nos commandements sont hors des mots. Pire, plus ta partenaire essaye de répondre à l’aveugle à ce qu’elle pense avoir compris de ton besoin non exprimé avec tout son cœur, sa bonne foi et sa générosité, plus la fureur de son inadéquation te saisira (2) . Alors, il te faudra la corriger, tu chercheras à lui expliquer aussi, tu voudras la redresser. Tu ne verras pas qu’elle est en train de disparaître. Tu ne verras pas ses cernes, ses sursauts, sa maigreur, ses nuits raccourcies, ses vérifications désordonnées de la maison avant ton arrivée pour s’assurer que tout est en ordre, que tout est comme tu le désires. Toi, tu veux croire à votre histoire. Tu es sincère. La preuve ?

 

AU DEBUT, TU N'AVAIS RIEN BESOIN D'EXPLIQUER

Au début, tout allait bien entre vous. Comme une lune de miel dans les films qu’elle aime. A cette époque-là, elle était comme il faut. À l’époque, tu n’avais rien besoin d’expliquer. Ça n’était pas nécessaire. Elle te comprenait. Aucun effort entre vous. Évidemment, vous étiez amoureux ! Alors quoi ? Pourquoi ça a changé ? Toi, tu es le même. Tu t’épuises à chercher ce qui a bien pu lui arriver. Si c’est pas toi, c’est donc elle. Elle qui s’est transformée. En fait, tu ne sais pas que tu es un vampire. Tu ne sais pas que bientôt, elle t’aura transfusé sa dernière goutte de sang, elle t’aura donné tout son pauvre amour. Ni toi, ni elle ne connaissent ta nature « spéciale » et ce que cela exige de vivre avec un être assoiffé tel que toi. Elle, elle t’est reconnaissante d’avoir bien voulu d’elle. Vaillante petite mule au pelage élimé sous l’orage, lors de vos scènes de plus en plus fréquentes, elle admet tête basse :

« D’accord, tu as raison. Oui, je dois me reprendre. Je n’ai pas fait assez attention. Je vais changer, tu vas voir. Tu vas être content de moi comme au début. Je te le jure. Je peux y arriver. »

 

 

Et elle va en faire beaucoup. Se levant plus tôt pour organiser, laver, repasser, cuisiner, préparer ce qui doit l’être, comme ça doit l’être, faire respecter tes siestes aux enfants, ravalant sa personnalité, ses petits avis, ses désirs de bonheurs dérisoires, les écrasant consciencieusement.

Et c’était fatal, il y aura des fautes, des plats trop cuits ou

trop salés, des jupes trop courtes, des appels téléphoniques trop longs ou quelques derniers sourires au mauvais moment. Il y aura des bières pas assez fraîches, des pulls qui grattent, des plis aux chemises et des enfants mal rangés. Et si elle travaille à l’extérieur, pauvre de toi ! Il y aura des retours en retard, des justifications qui ne te rassureront pas, tout un tas de problèmes qui t’agresseront sans jamais cesser. La dose de sang qu’elle te transfuse chaque jour ne suffira plus. Tu as trop soif, depuis trop longtemps.

 

LE VAMPIRISME AU QUOTIDIEN

Alors, le temps passant et malgré les solutions que tu trouveras comme de contrôler ce qu’elle fabrique ici et ailleurs, la tension se fera de plus en plus grande et les privations auxquelles tu devras la soumettre plus sévères. Alors, vous entrerez dans une arène où la violence de tes déceptions devra lui être renvoyée à chaque fois plus fort. Tu n’y peux rien, c’est comme ça.

« J’y suis obligé, puisque tu ne veux pas comprendre. Je le fais pour que tu rectifies le tir, nom d’un chien. Tu crois que ça m’amuse, moi ?»

Et plus ça ira, moins elle comprendra. « T’es bête à bouffer du foin ou tu le fais exprès pour m’emmerder ? » Tu ne liras pas dans son regard de bête apeurée une supplique silencieuse à cesser. Au contraire, tu y verras une autorisation à t’essuyer sur un paillasson de mépris que « ses yeux de vache » suscitent en toi. Bien sûr, tu regretteras les premiers coups, mais vite tu les justifieras et facilement encore :

« C’est pas si compliqué ce que je te demande. Tu vas au travail et tu rentres. Si tu dois faire des courses, tu me préviens, tu me dis où tu es et pour combien de temps tu en as. C’est tout. Je pense vraiment que tu n’y mets pas du tien. Et puis je tape pas fort. Et puis c’est juste pour que ça rentre. Je suis pas un mauvais. D’ailleurs, ça se finit souvent sur l’oreiller, non ?»

LA CONFUSION MENTALE, l'EMPRISE

Tu ne verras pas que sa prétendue bêtise est de la confusion mentale. Tu ne comprendras pas que sa prétendue mauvaise volonté prend racine dans sa terreur de te faire face et d’encore se tromper. Tu ne pourras pas saisir que la panique de toi lui fait systématiquement choisir l’option la pire, celle qui dégoupille tes grenades. Mais en vérité, tu sais très bien tout ça, puisque son air affolé aiguise ton appétit de carnassier et que ça t’excite quand elle suinte la peur de tes crocs. Tu savoures à l’avance cette biche qui bientôt va courber la mollesse de son échine sous ta mâchoire de fer. Ce soir, le sang sera épais, il sera bon. A vouloir te satisfaire à tout prix, elle perd de plus en plus pied avec la réalité de sa noyade. Sous l’eau chaque jour un peu plus. Elle a déjà connu ça, mais elle l’a oublié. Elle s’est déjà noyée, quand elle cherchait à satisfaire son premier vampire, celle qui avait toute légitimité à lui sucer la vie, puisqu’elle la lui avait donnée.


Stéphanie Feliculis Psychologue clinicienne, autrice et Gestalt-thérapeute 12 septembre 2021

1 Le psychiatre Gérard Lopez, pionnier de la victimologie, a consacré un livre à ce phénomène Le vampirisme au quotidien qui montre la réalité concrète de ce mythe dans les relations d’emprise conjugale.

2 Je formule les choses avec un homme avide et une femme missionnée. Mais cela peut fonctionner dans l’autre sens ainsi que dans les couples homosexuels. Personne n’est à l’abri de telles mises à sac.