Ma rencontre avec la Gestalt thérapie
Je souhaite ici partager quelques concepts-clés de la gestalt-thérapie, tels que j'ai pu les découvrir et les expérimenter au cours de mon cheminement, tant personnel que professionnel.
Vers le milieu des années 80, jeune médecin de campagne, homéopathe, installé dans les alpes du sud, je traversais une crise existentielle, que mon exercice professionnel permettait certes d'amortir, mais que venaient colorer régulièrement des ressentis de grande solitude et d'absence de sens à ma vie, comme à la marche de ce monde qui m'entourait par ailleurs.
Les moments ou je me sentais le plus vivant et mobilisé (ou tout simplement mobile et en mouvement) étaient ceux au cours desquels je rencontrais de l'autre : soit une personne (rencontre amicale, amoureuse, professionnelle…), soit un groupe (associatif, politique…) soit un environnement qui me parlait (immersion dans une nature vivante et vibrante, choc esthétique avec une lecture, un spectacle ou un panorama envoutant…).
Lorsque l'on m'a parlé alors d'une nouvelle approche thérapeutique qui venait des Etats-Unis, je me suis inscrit, par curiosité, pour 3 week-ends de groupe. Cela a été un choc salutaire, voire même une révélation, où, à travers les cris, les larmes, les rires, les échanges verbaux ou corporels paisibles ou enflammés, j'ai pu expérimenter et ressentir qu'il était possible de me montrer et me dire en sécurité, dans mes vulnérabilités ou ma puissance, me dire à d'autres, inconnus jusqu'alors ; que c'était accepté dans ce cadre, et en plus, que cela faisait du bien.
Un peu naïvement, je croyais alors que tout était maintenant réglé pour moi et que la vie serait désormais simple et rayonnante. Il n'en a bien sûr rien été, ce n'était que le début d'un long parcours, un processus au cours duquel l'oeuvre d'une vie se construit, se modifie, se déconstruit et se reconstruit sans arrêt, dans le mouvement et le contact avec ce et ceux qui nous entourent.
Et depuis, la pertinence de cette approche ne m'a jamais quitté.
J'ai donc continué ce cheminement amorcé pendant quelques années. Et tout naturellement, voyant les changements positifs qui s'opéraient en moi, je me suis dit que je pouvais en faire bénéficier d'autres. C'est alors que je me suis engagé dans une formation professionnelle en gestalt-thérapie en 1996, l'intégrant de plus en plus dans ma pratique professionnelle, qui est devenue quelques temps plus tard exclusivement psychothérapeutique gestaltiste.
Le Gestalt thérapeute non comme expert extérieur mais engagé dans la rencontre
En fait je m'étais aperçu que la consultation médicale « classique » entre un « patient » qui souffre d'un symptôme et un médecin, « expert » qui est censé le guérir par le traitement adéquat, me semblait trop limitante : elle n'incitait pas la personne à être responsable et donc actrice de sa propre guérison, mais plutôt à s'en remettre à une autre pour faire ce travail.
De plus, ce qui me semblait le plus passionnant et le plus efficace dans la relation de soin était la rencontre authentique avec un autre dans tout son environnement : son contexte familial, social, culturel, professionnel… L'homéopathie m'avait déjà habitué à une démarche globale, holistique, dans l'abord d'une personne : une personne vue non pas comme l'addition d'organes qu'il s'agirait de réparer, mais comme un organisme vivant, vibrant, qui, à l'occasion d'un changement dans son environnement (rencontre avec un microbe, un stress, une modification climatique, une peur ou toute autre émotion…), vivait un déséquilibre énergétique qui allait se manifester par des symptômes (physiques, émotionnels, sensoriels, psychiques…) qui lui étaient propres à ce moment précis et nous conduiraient à choisir le remède homéopathique adapté.
Accompagner le mouvement relationnel, au coeur du « contact »
C'est le principe de base que va poser la gestalt-thérapie, affirmant dès la première ligne de son ouvrage fondateur[1] en 1951 : « L'expérience se situe à la frontière entre l'organisme et son environnement. » C'est par l'analyse et le travail sur ce contact organisme/environnement que nous allons accompagner une personne dans son cheminement. L'environnement est ici pris dans un sens élargi : familial, amical, couple, social, professionnel, politique, culturel, spirituel… Nous sommes toujours baignés dans un contexte où il y a contact avec de l'autre, et cette expérience de contact peut être plus ou moins satisfaisante ou souffrante. Dès lors la santé sera vue comme une capacité à créer des contacts qui soient créatifs et ajustés à l'environnement du moment.
La métaphore de la digestion peut représenter ce processus : lorsque, éprouvant de la faim, j'ingère un aliment , que j'assimile bien ce qui m'est nécessaire et que je rejette ce qui ne l'est pas, on peut dire que la digestion est bonne et saine. Sinon il faudra repérer ce qui n'était pas adapté dans la situation du moment et l’environnement pour pouvoir y remédier.
De même en thérapie, nous allons porter notre attention sur ce que nous ne digérons pas (métaphoriquement bien sur), dans notre expérience du moment. Et en premier lieu l'éprouvé corporel, car il en est le premier témoin.
Que cette expérience soit d'ailleurs :
- relatée par le patient : ce qui s'est passé avant ou ailleurs,
- ou imaginée : ce qui pourrait se passer plus tard,
* ou vécue en direct durant le déroulé de la rencontre thérapeutique : ce qui se passe ici et maintenant.
Quelque soit le temporel (passé, futur, ou présent), il y a toujours une expérience qui s'inscrit dans un corps en chair et en os.
Les neuro-sciences ont d'ailleurs montré que ce n'est pas seulement la compréhension d'une situation souffrante qui permet de la modifier, mais un nouvel éprouvé corporel que va créer un changement de regard sur cette situation. C'est pourquoi le thérapeute pourra proposer en séance des expérimentations corporelles qui amènent à vivre une situation nouvelle. Il pourra également encourager le client à ressentir ce qui se passe pour lui dans l'instant, plutôt que comprendre pourquoi il en est arrivé là.
Le mouvement de co-création
Mais ces éprouvés corporels ne sont pas l'apanage du seul patient, ils affectent également le thérapeute. Tant mieux car cela montre que ce dernier est également touché par la situation qui va se créer au cours de cette rencontre entre deux (ou plusieurs si nous sommes en groupe) personnes humaines.
Rencontre au cours de laquelle le thérapeute est certes en position d'accompagnant mais un accompagnant qui s'engage avec toute sa personne auprès de son patient ; et cela est pour ce dernier un encouragement à oser du changement (car un changement n'est pas toujours forcément très confortable).
Un peu comme un guide de montagne qui accompagne son client dans une randonnée et s'engage avec lui sur un terrain dont il a une certaine expérience (il faut au moins 4 ou 5 années de formation pour commencer à suivre des personnes) et auquel il est relié par une corde – métaphore de la relation thérapeutique – qui va donner la sécurité nécessaire pour oser de nouveaux pas ensemble.
C'est donc une co-construction à laquelle nous sommes conviés, dans le respect et les limites du moment de chacun, qui va aboutir symboliquement à élaborer ensemble à chaque séance de travail une oeuvre éphémère, que nous appelons dans notre jargon une gestalt, une forme (gestalt provient d'un mot allemand qui signifie forme, figure). Au fil des rencontres avec son thérapeute, l'intention sera de co-créer des formes de plus en plus souples, ajustées à l'environnement, créatives, claires, satisfaisantes pour chacun. Pour cela toutes les ressources seront sollicitées : verbales certes, mais également corporelles, sensorielles, émotionnelles, sensitives… Le patient est ainsi invité à devenir une sorte d'artiste, acteur et artisan créateur de son existence dans son environnement.
La Gestalt, une esthétique du mouvement
Suivant la formule d'Isadore From[2], sur le mode poétique, c'est un accompagnement à « transformer la parole en poésie, et la marche en danse ».
La psychothérapie s'inscrit alors, non plus essentiellement dans une démarche psychopathologique avec un patient qu'il conviendrait de soigner de sa pathologie psychique (ce qui peut toutefois avoir sa pertinence certaines fois), mais dans une approche esthétique fondée sur les qualités sensibles des formes, que l'on cherchera à créer toujours plus souples, ajustées, claires, en mouvement, vivantes et adaptées à leur environnement.
Il s'agit de passer du développement personnel, que valorise une société actuellement toujours plus individualiste et marchande, au développement relationnel : un individu en mouvement dans un environnement toujours en changement.
Démarche oh combien passionnante car se renouvelant sans cesse au cours de ce processus de changement.
Toulouse, le 14 janvier 2024
Pierre-Alain CAMBEFORT
[1]Gestalt-thérapie, par Perls, Hefferline, Goodman, ed l'Exprimerie
[2]Membre du groupe fondateur de la gestalt-thérapie